Publié le 16 mai 2024

Réussir un portage au Québec, ce n’est pas une question de force brute, mais de maîtrise des techniques dictées par le terrain.

  • Le choix de l’équipement (baril rigide, bottes adaptées) est plus important que la force physique pour affronter la boue et la faune.
  • Les techniques de levage solo et de chargement sont basées sur la physique (centre de gravité) et non sur la musculature.

Recommandation : Appliquez le principe du « système bi-chaussure » et maîtrisez la levée en pivot avant même de planifier votre kilométrage.

L’image est un classique : un canoteur, le visage crispé par l’effort, le canot sur les épaules, qui sacre en s’enfonçant dans un sentier de portage boueux quelque part dans La Vérendrye. Le dos hurle, les moustiques attaquent, et chaque pas est un combat. On nous a tous seriné les mêmes conseils de base : « pliez les genoux, pas le dos », « répartissez la charge », « prenez de bonnes bottes ». C’est bien beau sur le papier, mais sur le terrain accidenté du Bouclier canadien, ces platitudes ne valent pas grand-chose.

La vérité, c’est que le portage n’est pas qu’une épreuve de force. C’est une science. Une discipline qui demande plus de technique et de stratégie que de biceps. La différence entre une expédition réussie et une torture qui vous dégoûte du canot-camping à vie se joue sur des détails que seuls les guides et les habitués maîtrisent. Des détails contre-intuitifs, souvent à l’opposé des conseils que l’on trouve partout ailleurs. Ce n’est pas votre force qui est en cause, mais votre approche.

Et si la clé n’était pas de porter plus lourd, mais de porter plus intelligemment ? Si le secret ne résidait pas dans la botte la plus chère, mais dans la plus simple ? Cet article déconstruit les mythes du portage. On ne parlera pas de devenir plus fort, mais de devenir plus malin. On va plonger dans les techniques qui fonctionnent vraiment, celles qui sont testées et approuvées sur les parcours exigeants de la Sépaq et les territoires sauvages du Québec.

Ce guide est votre feuille de route pour transformer le portage d’une corvée en une simple transition. Nous aborderons les aspects critiques, du chargement de votre embarcation pour affronter les vagues jusqu’aux subtilités légales du camping sur les terres de la Couronne, pour que votre prochaine aventure soit mémorable pour les bonnes raisons.

Pourquoi centrer les barils lourds empêche de chavirer dans les vagues ?

L’erreur classique du débutant, c’est de voir le chargement comme un simple jeu de Tetris. En réalité, c’est une question de physique pure qui détermine votre stabilité dans le clapot. La règle d’or n’est pas seulement de centrer le poids, mais de le garder le plus bas possible. Un centre de gravité bas transforme votre canot en une sorte de culbuto : plus stable et moins susceptible de se faire renverser par une vague de côté. Les barils lourds, comme celui de la nourriture, doivent être arrimés au fond de la coque, directement sur les membrures, et non posés sur d’autres équipements.

Cette répartition est d’autant plus critique qu’elle dépend du type de plan d’eau. Le Centre d’expertise hydrique du Québec le démontre bien : le clapot court et saccadé du Lac Saint-Jean, avec des vagues rapprochées, exige une concentration maximale du poids au centre pour éviter le roulis. À l’inverse, la longue houle du fleuve Saint-Laurent tolère une répartition un peu plus étalée pour ne pas que le canot se mette à tanguer excessivement, le nez piquant dans chaque vague.

Vue aérienne d'un canot chargé montrant la répartition optimale des barils

Comme le montre ce schéma, l’objectif est de créer un bloc de masse compact et solidaire de la coque. Pour un canot de type « Prospecteur » au fond arrondi, le baril lourd doit être placé précisément entre les deux pagayeurs. Pour un fond plus plat type « Algonquin », on peut répartir légèrement cette charge sur une soixantaine de centimètres pour limiter l’effet de balancier. L’arrimage avec des sangles en croix (en X) est non négociable ; il empêche tout mouvement latéral qui pourrait déséquilibrer l’embarcation au pire moment.

Comment lever un canot de 60 lbs seul sans aide ?

Un canot de 60 livres (environ 27 kg), seul, ça ne se lève pas avec le dos, ça se lève avec la tête. Oubliez l’approche en force brute. Tout est dans la technique, l’équilibre et l’utilisation de votre environnement. La méthode la plus efficace et sécuritaire pour un canoteur de taille moyenne est la levée en pivot sur la cuisse. Le principe est simple : vous vous placez au centre du canot, vous le basculez sur le flanc, soulevez l’étrave jusqu’à ce que le plat-bord repose sur vos cuisses fléchies. De là, vous glissez vos épaules sous la coque, et c’est la puissance de vos jambes qui fait le travail final en vous redressant. Votre dos ne force presque pas.

L’environnement québécois offre des défis, mais aussi des aides. Comme le rappellent les guides de la Sépaq, un quai flottant n’est pas un obstacle, mais un allié. Son léger mouvement de bascule peut être utilisé pour créer un élan ascendant qui facilite la première partie de la levée. À l’inverse, sur une rive vaseuse du réservoir Baskatong ou une roche glissante du Bouclier canadien, la priorité absolue est de se créer une plateforme stable avec des branches ou des roches plates avant même de toucher au canot.

Pour les portages longs ou si la fatigue se fait sentir, il ne faut aucune honte à utiliser des techniques intermédiaires :

  • L’accotement sur baril : Utilisez votre baril de 60L posé à la verticale comme un point d’appui à mi-hauteur. Levez le canot sur le baril, reprenez votre souffle, ajustez votre prise, et terminez la levée.
  • L’abandon sécuritaire : Si vous sentez que vous perdez l’équilibre, n’essayez pas de retenir le canot. C’est le meilleur moyen de se blesser. Accompagnez sa descente en pliant les genoux et en le guidant vers le sol. Un canot en T-Formex peut encaisser un petit choc, votre dos, non.

Sac à dos étanche ou baril rigide : quel contenant pour les portages boueux ?

Pour le contexte québécois, la question ne se pose même pas : c’est le baril rigide avec un bon harnais. Le sac à dos étanche, aussi performant soit-il, a deux failles majeures qui le rendent inadapté à nos contrées : il est vulnérable à la faune et peu pratique au camp. Un ours noir ou même un raton laveur déterminé n’aura aucun mal à déchiqueter un sac pour accéder à votre nourriture. Le baril, lui, est une forteresse impénétrable. Ce n’est pas un détail quand on sait que, selon les données de la Sépaq, La Vérendrye et Aiguebelle enregistrent plus de 50 incidents annuels avec des ours noirs attirés par de la nourriture mal protégée.

Le tableau suivant résume le match, qui est sans appel pour quiconque a déjà affronté un portage dans le parc de la Mauricie.

Comparaison baril vs sac étanche pour le Québec
Critère Baril rigide 60L Sac à dos étanche
Protection faune 100% à l’épreuve des ours et ratons Vulnérable aux griffes et dents
Flottabilité Flotte même plein, visible de loin Coule partiellement selon contenu
Confort portage Bon avec harnais (100-150 $) Excellent si bien ajusté
Polyvalence Sert de siège au camp Plus compact une fois vide
Prix total Baril 60L + harnais: 200-250 $ Sac qualité: 150-300 $

Le seul véritable avantage du sac est son confort de portage, mais cet argument ne tient plus face aux harnais modernes. Comme le précise Canots Légaré à propos des systèmes comme celui de Level Six, le harnais à baril est conçu avec un système d’épaules et une ceinture structurée, entièrement réglable. Il offre un hybride optimal entre la protection absolue du contenu et un confort de portage tout à fait acceptable, même sur de longues distances. De plus, au campement, le baril devient une table d’appoint, un siège sec et stable, alors que le sac reste une poche molle et humide.

L’erreur de porter des bottes de marche qui ne sèchent jamais

L’erreur la plus commune, et la plus douloureuse, est de croire qu’une bonne paire de bottes de randonnée imperméable et respirante est la solution à tout. C’est un mythe. Au Québec, en canot-camping, vous aurez les pieds dans l’eau. C’est une certitude. Que ce soit en embarquant, en débarquant, ou en traversant un ruisseau sur le sentier de portage. Une fois que l’eau a pénétré dans votre botte high-tech en Gore-Tex, c’est terminé : elle ne séchera jamais du reste du voyage. Vous vous retrouvez avec des enclumes humides aux pieds, la porte ouverte aux ampoules et à l’hypothermie.

La solution des professionnels est le système à deux paires de chaussures. C’est non négociable. Ce système sépare complètement les activités « mouillées » des moments « au sec ».

  • Paire 1 (Pour l’eau et les portages) : Des chaussures conçues pour être mouillées et sécher vite. Les bottillons en néoprène sont un excellent choix, tout comme les sandales fermées de type Keen. L’important est qu’elles puissent évacuer l’eau rapidement et sécher en quelques heures au soleil ou au vent.
  • Paire 2 (Réservée au camp) : Une paire de chaussures de randonnée légères ou de souliers de course en sentier. Cette paire est sacrée. Elle reste dans un sac étanche toute la journée et n’est sortie qu’une fois la tente montée. C’est votre garantie d’avoir les pieds au sec et au chaud pour la soirée.

Dans les conditions extrêmes, comme les portages marécageux du Témiscamingue où l’eau peut monter jusqu’aux genoux, les guides locaux ont une approche encore plus pragmatique : ils délaissent les chaussures techniques coûteuses pour de simples bottes de pluie de travail. Elles sont 100% étanches jusqu’en haut, robustes, et si l’eau entre par le dessus, elles se vident et se nettoient en un instant. Une paire de chaussettes en laine mérinos sèches, gardée en permanence dans votre sac, constitue votre dernière ligne de défense thermique en cas d’imprévu.

Courant ou contre-courant : comment calculer ses km journaliers réalistes ?

Planifier 20 km par jour parce que c’est ce que vous faites en randonnée est la meilleure façon de finir à la lampe frontale, épuisé, au milieu d’un lac. En canot-camping, le calcul de la distance est une science humble qui doit prendre en compte une multitude de facteurs souvent sous-estimés. Votre vitesse sur l’eau n’est pas constante. Le vent, le courant, le type de canot, la charge et votre état de fatigue la font varier de manière drastique.

La base de tout calcul réaliste est une estimation pessimiste. Selon les données des ZEC du Québec, un pagayeur intermédiaire sur un lac calme, sans vent, peut espérer maintenir une vitesse de 2 à 3 km/h en moyenne sur une journée. C’est votre chiffre de départ. Ensuite, vous devez appliquer des modificateurs :

  • Vent de face (15 km/h et +) : Réduisez votre vitesse estimée de 30% à 50%. Pagayer contre le vent est l’un des efforts les plus énergivores.
  • Courant favorable (rivière) : Ajoutez la vitesse du courant (généralement 1-3 km/h) à votre vitesse de pagayage.
  • Courant contraire (rivière) : C’est une bataille perdue d’avance. Remonter un courant, même faible, est extrêmement lent et épuisant. À éviter sauf sur de très courtes distances pour atteindre un site.
  • Nombre de portages : Un portage n’est pas juste le temps de marche. Comptez au minimum 1 heure par portage (déchargement, 2 voyages, chargement). Un portage de 1 km peut facilement prendre 1h30 à 2h.

Un calcul journalier réaliste pour un parcours avec deux portages de 500m pourrait ressembler à ceci : 6 heures de pagaie à 2.5 km/h = 15 km. On y soustrait 2 heures pour les portages. Votre distance totale parcourue sur une journée de 8 heures ne sera que de 15 km, pas les 25 que vous aviez peut-être en tête. La planification est un exercice d’humilité.

Quand arriver sur le site : pourquoi le repérage de jour est crucial ?

Le choix d’un site de campement est la décision la plus importante que vous prenez après celle de votre itinéraire. La prendre dans la pénombre est une erreur de débutant.

– Canot Kayak Magazine

Arriver sur son lieu de campement à la brunante est une recette pour le désastre. La fatigue, la faible luminosité et la pression de devoir monter le camp rapidement vous feront ignorer des dangers évidents. Un bon site de canot-camping ne se résume pas à un bout de plage plat. C’est un écosystème qu’il faut analyser pour garantir sa sécurité et son confort. Le repérage doit se faire avec au moins deux heures de lumière du jour devant soi, le temps de valider une série de points critiques que l’on ne voit tout simplement pas dans le noir.

Un repérage diurne vous permet d’évaluer des éléments non négociables. Y a-t-il des branches mortes au-dessus de l’emplacement de la tente (les « widowmakers ») ? Le site est-il sur une piste de gibier évidente ? L’accès à l’eau est-il sécuritaire et non glissant ? Où se trouve le bois sec pour le feu ? Ces questions sont impossibles à répondre correctement avec une simple lampe frontale. Le choix de l’emplacement de la tente doit aussi prendre en compte le vent dominant pour l’orientation de la porte et la protection contre la pluie.

Plan de repérage : les 5 points à valider avant la brunante

  1. Sécurité en hauteur : Levez les yeux. Scannez la présence de branches mortes ou d’arbres instables au-dessus de la zone de campement.
  2. Traces de faune : Cherchez des sentiers battus, des excréments frais ou des grattages sur les arbres. Évitez de vous installer sur une autoroute à ours.
  3. Drainage du sol : Repérez les dépressions où l’eau pourrait s’accumuler en cas de pluie. Choisissez un emplacement légèrement surélevé et bien drainé.
  4. Ressources locales : Identifiez l’accès à l’eau potable (en amont du campement), la présence de bois sec et un endroit sécuritaire pour faire un feu, loin des racines et des matières inflammables.
  5. Exposition aux éléments : Évaluez la protection contre le vent dominant et l’exposition au soleil du matin (pour sécher la tente ou pour ne pas être réveillé à l’aube).

Quand la marée d’eau salée menace-t-elle les prises d’eau potable ?

Ce problème est très spécifique, mais vital pour ceux qui s’aventurent près des estuaires comme celui du Saint-Laurent ou du Saguenay. L’eau peut paraître douce en surface, mais la marée montante peut faire remonter un « coin salé », une langue d’eau salée plus dense qui progresse au fond de la rivière, bien en amont de ce que l’on pourrait imaginer. Puiser son eau potable au mauvais moment ou au mauvais endroit peut non seulement la rendre imbuvable, mais aussi contaminer votre filtre et ruiner votre expédition.

Des études du MFFP (Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs) ont montré que dans l’estuaire du Saint-Laurent, ce coin salé peut remonter sur des dizaines de kilomètres à marée haute. La règle est simple mais absolue : on puise toujours son eau à marée basse. C’est à ce moment que le débit de la rivière est le plus fort et repousse l’eau salée vers l’aval. De plus, il faut privilégier les zones où le courant est visible en surface et, si possible, en amont d’un rapide, là où le brassage de l’eau garantit une meilleure homogénéité.

Ignorer ce phénomène peut avoir des conséquences sanitaires. Au-delà du sel, la zone de rencontre entre eau douce et eau salée est un milieu riche en nutriments où les bactéries peuvent proliférer. Selon le Réseau de suivi de la qualité de l’eau du Québec (RQES), certaines zones estuariennes montrent des pics de contamination bactérienne directement liés aux cycles de marée. Même avec un filtre, il est plus prudent d’éviter de puiser dans ces zones de turbulence biologique. Si vous n’avez pas le choix, la faire bouillir pendant au moins une minute reste la méthode de décontamination la plus sûre.

À retenir

  • Le baril rigide n’est pas une option, c’est une nécessité pour la protection contre la faune omniprésente au Québec.
  • Le « système bi-chaussure » (une paire pour l’eau, une pour le sec) est la seule solution viable pour éviter l’humidité constante et les ampoules.
  • Le « camping sauvage » sur les terres de la Couronne est strictement réglementé ; le droit de passage n’équivaut pas au droit de séjour.

Comment camper légalement sur les terres de la Couronne sans amende ?

L’idée romantique de planter sa tente n’importe où sur les vastes territoires publics du Québec est un mythe qui peut coûter cher. Camper sur les terres du domaine de l’État (terres de la Couronne) est possible, mais très réglementé. La règle fondamentale à comprendre est la différence entre un droit de passage et un droit de séjour. Vous avez le droit de traverser ces terres, mais y installer un campement pour la nuit est soumis à des règles strictes qui varient selon le statut du territoire.

Le ministère des Ressources naturelles (MERN) est clair : le camping est généralement toléré sur les terres de la Couronne non structurées, à condition qu’il soit temporaire, léger et ne laisse aucune trace. Cependant, cette tolérance s’arrête net dès que vous entrez dans un territoire à statut particulier. Les ZEC (Zones d’Exploitation Contrôlée) et les pourvoiries sont des terres de la Couronne, mais leur gestion est déléguée. Y camper est interdit sauf si vous êtes client et que vous utilisez les sites désignés. Quant aux territoires autochtones, ils requièrent une autorisation préalable des conseils de bande. S’y installer sans permission est non seulement illégal, mais constitue un manque de respect. Les amendes pour camping illégal peuvent grimper jusqu’à 500 $ en ZEC et 1000 $ en pourvoirie ou en territoire autochtone.

L’autre aspect critique est la gestion des feux. Même si vous êtes sur une terre où le camping est permis, l’interdiction de faire des feux à ciel ouvert émise par la SOPFEU (Société de protection des forêts contre le feu) a préséance sur tout. Ignorer cet avis peut entraîner des conséquences dramatiques et des sanctions sévères. D’après les données compilées, plus de 200 amendes de 500 $ à 5000 $ ont été émises au Québec en 2023 pour des feux illégaux durant les périodes d’interdiction. Avant de partir, la consultation de la carte de la SOPFEU est un réflexe obligatoire.

Pour une aventure sans mauvaise surprise, il est crucial de bien saisir les nuances légales du camping en territoire québécois et de ne jamais présumer de ses droits.

En somme, le respect de la réglementation n’est pas une contrainte, mais une marque de respect envers la nature et les communautés qui gèrent ces territoires. La meilleure approche est de toujours planifier son itinéraire en utilisant les sites de camping désignés dans les parcs et les réserves. Pour les plus aventureux qui visent les terres non structurées, une préparation méticuleuse est l’étape suivante pour garantir la légalité et la sécurité de votre expédition.

Rédigé par Guillaume Larocque, Guide d'expédition polaire et instructeur en survie. Certifié Wilderness First Responder avec 15 ans d'expérience dans le Grand Nord québécois et la Côte-Nord. Expert en logistique d'aventure isolée et gestion des risques en milieu hostile.